La Communauté de Communes de Montesquieu est riche de trois affluents de la Garonne ; du Nord au Sud : l'Eau blanche, le Saucats et le Gât-Mort. Le cours de chacun est entrecoupé par les restes de nombreux moulins : 14 pour l'Eau blanche, 9 pour le Saucats et 13 pour notre Gât-Mort - dont 3 pour Saint-Morillon.
Les 3 moulins de Saint-Morillon sont : Lusié (ou Luzier), le Notaire et Carat (ou Jean-Bertrand ou Moussurot).
Localisation géographique des 3 moulins à eau de Saint-Morillon (cliquez ici pour agrandir la carte)
Pourquoi ces moulins étaient-ils si nombreux ?
On trouvera les raisons de cette omniprésence dans la conjonction de plusieurs facteurs :
- des raisons alimentaires : le pain était autrefois la base de l'alimentation pour une grande partie de la population et le moulin le passage obligé entre le grain et la farine ;
- la conservation des grains étant plus aisée que celle des farines, il était de coutume de ne faire moudre qu'au fur et à mesure des besoins ;
- la faiblesse des moyens de transport, la précarité des voies de communication voire leur impraticabilité durant certaines époques de l'année conduisaient à produire, transformer et consommer sur place. C'était une des règles des sociétés préindustrielles ;
- et, plus prosaïquement, la rentabilité évidente des moulins n'a pu qu'accroître les vocations d'investisseurs.
Quelle est l'ancienneté de ces moulins ?
En l'état de nos connaissances, on ne peut rien affirmer ; il faudra se satisfaire de quelques repères.
Les romains connaissaient le moulin à eau et (presque) tous ceux que nous venons d'évoquer figurent sur la carte de Guyenne dite de Belleyme qui date de la fin du XVIIIè siècle.
Dans cette fourchette, on a peu de chances de se tromper en émettant l'hypothèse que, pour certains, les origines sont contemporaines de nos églises romanes des XIè et XIIè siècles. Insistons bien sur "origine" : les moulins étaient sujets aux incendies, sensibles aux grandes crues, des cibles privilégiées en période troublées, objets de réfections, réaménagements, modifications fréquentes ; il serait illusoire de chercher dans le bâti qui nous est parvenu des marques très anciennes.
Comment fonctionnaient ces moulins ?
Aucun de nos trois moulins saint-morillonais : Lusié (ou Luzier), le Notaire et Carat (ou Jean-Bertrand ou Moussurot) ne se différencie, dans le principe, des autres moulins du Gât-Mort ou de ceux du Saucats.
Il s'agissait de détourner l'eau de la rivière selon une pente moindre que celle de son cours naturel. Le gain de dénivellation, accru par l'effet du barrage et des masses d'eau qu'il permettait d'accumuler, devait être suffisant pour permettre à la fois une chute d'eau au niveau du moulin et assez de pente résiduelle en aval pour la restitution de l'eau à la rivière.
Les aménagements hydrauliques ont nécessité chaque fois l'adaptation à des conditions d'environnement particulières bien que répondant aux mêmes règles de fonctionnement : un "bief" en amont du moulin pour accumuler les masses d'eau nécessaires, un barrage équipé d'écluses (les pelles) pour gérer la mise en eau ou la vidange du bief et assorti d'un "déversoir" pour éliminer d'éventuels trop-pleins. On ne peut que remarquer, pour pallier ou plutôt limiter les effets dévastateurs de l'eau, une qualité de construction assez exceptionnelle : qualité du matériau de base - la pierre - de sa taille et des ajustements.
À notre connaissance, il n'y a ni chez nous ni dans le voisinage de moulin ayant utilisé le système à "roue verticale", ces grandes roues dressées contre un mur extérieur si fréquentes dans d'autres régions de France.
Ici, les moulins appartiennent à la famille des moulins dits à "roue horizontale". Une roue à augets (élément 9 sur la figure ci-dessous) est disposée sous la chambre des meules et mise en mouvement par la force de l'eau. Le mouvement de rotation est transmis à la "meule volante" (16), en prise directe, sans autre intermédiaire qu'un "arbre" axial (8). Nos trois moulins saint-morillonais (comme quasiment tous les autres) tournaient à deux jeux de meules, chacun utilisant une variante du système à roue horizontale :
- "le rouet libre", la roue est disposée dans un espace non contraint, assez large, où l'eau est dirigée sur les augets par l'intermédiaire d'une "trompe" (19) ;
- "le rouet à cuve" qui serait une amélioration apportée au XVIIIè siècle : la roue est disposée au fond d'une cuve cylindrique bâtie en pierre, l'eau est introduite par une fente sur un côté et toute la hauteur du cylindre et s'évacue par en dessous. "L'eau entre suivant la tangente au cylindre, gonfle et s'introduit dans le cylindre en formant un tourbillon ; elle contraint la roue horizontale qui y est de tourner avec elle " (l'encyclopédie...). Deux forces se combinent pour faire tourner la roue : la force du tourbillon et le poids de l'eau.
Le système de meunerie proprement dit est simple : une "meule volante" (16) tournant au-dessus d'une "meule dormante" fixe (18). Chacune est constituée de blocs de meulière (pierre siliceuse d'origine lacustre) cerclés autour d'une pierre centrale en calcaire : "le boitard". D'un diamètre de 1,5 à 2 mètres et de 15 à 30 cm d'épaisseur, les meules sont rainurées pour faciliter le broyage du grain et l'éjection de la farine.
Nous citerons anecdotiquement une pièce modeste mais assez essentielle au fonctionnement pour avoir été utilisée comme emblème de la meunerie : "l'Anille". C'est la pièce métallique, dont la forme générale évoque le diabolo ou le nœud papillon, qui solidarisait l'arbre moteur et la meule volante. On en trouve parfois le schéma piqueté sur les parois des moulins. Plusieurs exemplaires sont visibles au Moulin du Notaire sur les montants de la porte qui donne sur la voie publique. Marques de meuniers, de rhabilleur de meules ou autres tâcherons ? On ne sait trop...
À qui appartenaient ces moulins ?
Au Moyen Âge, le moulin était le monopole de la Seigneurie (laïque ou ecclésiastique) comme le four à pain et le pressoir ; au cours du temps, l'obligation d'avoir recours au "moulin banal", au "four banal" ou au "pressoir banal" devait disparaître mais, pour les moulins et leur corollaire, le droit de pêche, les revenus en étaient trop substantiels pour que le pouvoir seigneurial en abandonne la haute main.
Pour la petite Histoire, disons qu'à la charnière des XVIIè et XVIIIè siècles, le moulin du Carat relevait de la Baronnie de La Brède, comme d'ailleurs, celui de Lacanau, partie intégrante à l'époque de la paroisse de Saint-Selve (Saint-Sève au XVIIIè siècle). Le moulin du Notaire relevait de la Prévôté royale de Barsac et celui de Lusié de la Baronnie de Landiras. Tous devaient finir dans l'escarcelle de Montesquieu ce qui prouve qu'il ne faisait pas que de la philosophie..
Les noms des moulins n'ont pas toujours été ceux que l'on connaît aujourd'hui. Par exemple, pour Lusié (ou Luzier), un acte de vente de 1561 concerne "le moulin noble d'Artayon de Luzières à Saint-Morillon" ; pour Le Notaire, un acte de 1724 le dit :"anciennement appelé de Seyes" ; quant au plus en aval de nos trois moulins, il est connu sous trois appellations : Le Carat, Jean-Bertrand et Moussurot, chacune avait ses tenants... on en dira seulement que des actes du temps de Montesquieu concernaient un "Jean Bertrand dit Moussurot"...
Que sont devenus ces moulins ?
Le déclin des moulins a commencé avec l'apparition de la machine à vapeur, du moteur à explosion et du moteur électrique. Tous sont de droit privé et ne bénéficient d'aucune mesure de protection officielle. D'un bien maigre intérêt général, ils disparaissent doucement (1). Rares sont ceux qui donnent encore une image de ce qu'ils furent. Tous ont subi leur lot de dégradations ; seul leur nombre permet encore de trouver sur l'un ce qui a disparu sur l'autre.
Peut-être un jour sera-t-il regretté de les avoir négligés ?
Textes et illustrations : Philippe et Françoise Delpech, mai 2021
(1) Des directives européennes et nationales prescrivent que "les obstacles à la libre circulation des sédiments et des poissons soient supprimés sur nos rivières". Saucats, Gât-Mort et leurs derniers barrages sont concernés.